The Last Of Us 2 : pourquoi le jeu divise, l’apport de la BO, la future série TV - notre interview avec Gustavo Santaolalla
Le bruit et la fureur.
Le Seattle dystopique de The Last of Us 2 expose un nouveau portrait de l’Amérique du Nord qui dénature tout ce qu’il est possible d’admirer dans les pages du guide Lonely Planet. Le champignon Cordyceps a déversé ses immondices dans une ville désormais sous les flots d’eaux usées et la végétation sauvage qui ne sert qu'à camoufler sa population malade. Des camping-cars rouillés hantent les routes mutilées par les marques d’obus et de balles laissées par des années de guérilla fratricide.
Mais au milieu du chaos, survivent quelques bribes du passé, des témoignages d’une vie autrefois célébrée, comme un disquaire Valiant. En se baladant entre les rayons de synthés corrodés et des vinyles déformés, le joueur du nouveau hit PS4 peut découvrir une guitare acoustique et gratter les accords de Take On Me du groupe A-ha.
Car dans The Last Of Us 2, la musique joue un rôle décisif. Plus que le script lui-même, elle accompagne la progression d’Ellie (et donc du joueur), à travers des titres devenus classiques comme True Faith de New Order. Et puis évidemment les instrumentaux envoûtants de Gustavo Santaolalla. Dans la continuité du premier épisode, l’environnement musical est ici posé, note après note, par le compositeur argentin connu pour d’autres bandes originales sur grand écran cette fois, celles du Secret de Brokeback Mountain et de Babel. Entretien avec le maestro.
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La partition musicale a inspiré les scénarii des deux jeux The Last of Us
« Je travaille différemment de mes collègues compositeurs », ainsi se présente Gustavo Santaolalla auprès de notre rédaction. « Dans l’industrie cinématographique, vous commencez par livrer un pré-montage du futur film, vous lui ajoutez une mélodie commerciale qui sera remplacée par la suite. Le compositeur n’arrive qu’à la fin du processus de création. Je ne travaille pas comme ça. Dans toutes les œuvres auxquelles j’ai participées, par exemple Le Secret de Brokeback Mountain, j'ai conçu la totalité de la bande originale AVANT que le réalisateur ne tourne la moindre scène. Les thèmes, le tissu sonore, tout cela est composé bien avant le tournage ».
« Pour Brokeback Mountain, Ang Lee a d’abord diffusé mes compositions sur le plateau, auprès des acteurs, et elles sont devenues une partie intrinsèque du film. C'est comme ça que j'aime travailler, à partir de l'histoire générale, des personnages, beaucoup plus que sur une scène particulière. Je reçois le script, je le lis comme tout le casting, je m’en inspire et je me laisse habiter par le concept et les personnages. Là, et seulement là, je peux commencer à composer une partition, la jouer puis l’enregistrer ».
Cette approche a permis à Neil Druckmann, scénariste et réalisateur de The Last Of Us 2, de se laisser happer par la bande son et d’ajouter une nouvelle narration, ainsi que des scènes inédites. « Les thèmes musicaux s’assemblent sur une période de deux à trois ans », poursuit Santaolalla. « J'en livre plusieurs parties par lots. Neil m’a avoué que certains passages de la bande son lui ont inspiré de nouvelles scènes, qui n’étaient pas prévues au début. C'est un effort de collaboration beaucoup plus artistique qu’au cinéma ».
« Sur The Last Of Us 2, j’ai eu énormément de libertés pour tester différentes choses, pour expérimenter. J'avais établi ce protocole lors de mes précédentes expériences cinématographiques. Mais dans le processus de création d’un jeu vidéo, il est impératif de fonctionner ainsi : il faut tellement de temps pour obtenir une approbation des décideurs, qu'on ne peut pas attendre le dernier moment pour composer la musique. Vous devenez familier avec le langage sonore, avant de l’être avec le langage visuel ».
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Naughty Dog livre un récit ancré dans le réalisme
Fallait-il proposer une suite à The Last Of Us ? Au cours de notre conversation, Gustavo Santaolalla est revenu sur l’accueil mitigé du second épisode. Tout en plaisantant sur le fait que « personne, et certainement pas moi, ne voulait d'un Rocky 8 ou d’un Indiana Jones III », le compositeur répète sa confiance envers la direction artistique de Naughty Dog sur cette séquelle. Et comment il a envisagé une approche musicale bien distincte du jeu original.
Avec une barbe qui s'est « épanouie » pendant le confinement, il commente : « Pour moi, tout se passe sur une plateforme émotionnelle. J'ai senti que je voulais apporter de nouveaux éléments. Garder certains thèmes, certaines mélodies qui sont devenus une signature du jeu, mais aussi aller au-delà. L’histoire de The Last Of Us 2 est plus sinistre, plus grinçante et il est impossible de l’ignorer. Je suis captivé par le voyage d’Ellie, l’expérience que nous livre le travail collectif de Druckmann et de Naughty Dog. Le récit est ancré dans le réalisme ».
« J'adore cette histoire. Je savais qu'elle allait être controversée et que les gens allaient flipper avec certains passages. Cela touche à des choses profondes de la condition humaine. Le fait que vous puissiez interpréter le protagoniste et vous mettre à la place de l’antagoniste n’est pas sans conséquence. Neil revendique que le premier jeu portait sur l'amour et que celui-ci porte sur la haine. Je pense que tout est une question d'amour et que la haine est une façon perverse d'exprimer l'amour. Il s’agit des deux faces d'une même pièce et The Last Of Us 2 expose le tout ».
« Je suis dans le jeu, je joue du banjo ! »
Si Naughty Dog a souhaité une BO qui s’écoute sans frontière, il convient de relever ses influences sud-américaines et celles des westerns classiques.
« Il y a cette musique distinctive qui vient de mon identité, que j'ai toujours voulu explorerLe thème original de The Last Of Us a été écrit sur du ronroco, un instrument de la Cordillère des Andes dans un rythme 6/8, qui est un rythme sud-américain/africain. Et il fonctionne à merveille car nous vivons aujourd’hui dans un monde qui nous permet de profiter de ce métissage ».
« Le banjo, qui vient d'Afrique, a cette saveur d'Americana, mais je savais que je n'allais pas en jouer comme un joueur de banjo normal parce qu'on ne m'a pas appris à le faire de la bonne manière. Je voulais le gratter à ma façon et voir ce qui allait se passer. J'aime la tournure que ça a pris. J'ai essayé beaucoup de styles différents et je dois avouer que j'ai eu quelques doutes. Mais Neil a aussi adoré, Naughty Dog a foncé et, bien sûr, je suis dans le jeu et je joue du banjo ! »
Pour l’anecdote, vous pouvez croiser Gustavo Santaolalla assis dans un rocking-chair, en train de jouer un air à son chien galeux. L’action prend place au début de The Last of Us 2, dans le village de Jackson.
Qu’en est-il de la série HBO The Last Of Us ?
Santaolalla, qui a fait le tour du monde avec son groupe Bajofondo et a remporté 18 Grammy Awards, considère qu'une relation unique s’est construite entre la saga de Naughty Dog, sa musique et les joueurs. « C’est un lien plus profond que nous ne trouvons pas forcément dans d’autres productions culturelles, au cinéma ou même à la TV ».
En parlant de télévision, il évoque son implication dans la prochaine adaptation de The Last Of Us en série HBO. Le show sera développé en tandem par l’équipe renforcée de Neil Druckmann et par les showrunners de Tchernobyl.
Comment s'attend-il à y participer ? « Nous allons conserver une certaine esthétique du thème original. En revanche, je ne vois pas la série adopter de partition orchestrale. Nous n'avons pas encore commencé à travailler dessus, mais je pense que les compositions principales vont être reprises sous différentes formes. Et de nouveaux thèmes émergeront, complémentaires aux deux jeux vidéo ».